Comment expliquer cette discrimination que nous continuons à cultiver tous les jours envers autrui par notre intolérance qu’elle soit religieuse, politique ou même raciale ? Un véritable paradoxe comportemental au regard de certains textes dits « sacrés » ou de simples principes moraux que nous sommes censés appliquer. Ce paradoxe pourrait pourtant bien s’expliquer par l’ambiguïté contenue dans l’essence même du terme dont nous explorons ici certaines acceptions et enjeux.
Tolérance vient du latin tolerare (supporter, supporter un poids, un fardeau physique ou moral), désignant « la capacité à accepter ce que l'on désapprouve » . Au sens moral – qui nous intéresse le plus ici – la tolérance est la vertu qui porte à accepter ce que l'on n'accepterait pas spontanément, par exemple lorsque cela va à l'encontre de ses propres convictions. Elle est pour Vladimir Jankélévitch «un moment provisoire qui permet à ceux qui ne s’aiment pas de se supporter mutuellement, en attendant de pouvoir s’aimer». Selon John Locke , la tolérance signifie « cesser de combattre ce qu'on ne peut changer » et pour Jean Baubérot , « Il y a peut-être la nécessité d’une dialectique, d’une tension entre liberté et tolérance, la tolérance étant l’acceptation que l’autre puisse avoir tort […] »
Ainsi, dans bon nombre d’écrits, la notion de tolérance est associée à la notion absolue de bien et de mal ou de vérité de mensonge. La tolérance s'exercerait pour ainsi dire que lorsqu'on reconnaît qu'une chose est un mal, mais que combattre ce mal engendrerait un mal encore plus grand. « On tolère par politesse, par ruse, par calcul ou tout bêtement par lassitude. Mais, au fond, on attend de n'avoir plus à tolérer » . La tolérance peut alors être considérée comme une faiblesse si l’on tolère ce que l’on considère être une erreur et d’un tel point de vue, la tolérance ne saurait être une vertu.
L’histoire nous rappelle, que l’intolérance est d’essence religieuse et qu’elle s’est de surcroit transposée dans le monde politique favorisant depuis longtemps des diktats de tout genre dont la conscience collective semble avoir compris les enjeux et décider d’abolir. La religion vise toujours l’absolu et l’absolu ne tolère pas de concurrence. Le dogme religieux est pour ainsi dire entier : on est dedans ou dehors, mais est ce principe que nous sommes réellement censés défendre ? Le culte de l’intolérance au 20ème siècle n’a-t-il pas fait du totalitarisme la pire idéologie de l’humanité ?
Ce totalitarisme qui a refusé la diversité, a cherché sans détour à exclure tout ce qui était considéré comme inférieur avec des exemples comme le nazisme, le fascisme, le stalinisme ou encore le maoïsme qui ont voulu imposer une manière uniforme de vivre, de penser, de se comporter ou même de parler. Tous ces régimes on prôné une unique façon de voir le monde. Hannah Arendt dans les origines du totalitarisme, l’avait définit comme un « crime contre la pluralité ». L’intolérance en acte prolonge ainsi l’intolérance de la pensée. C’est la doctrine du « Tous les opposants doivent être éliminés ». L’intolérance et la pratique de la fausse tolérance ont conduit les hommes à se détester les uns les autres par manque d’ouverture, de sincérité et de respect de la dignité humaine.
C’est pour cela que nous soutenons que la tolérance, prise en son sens propre, est inadéquat à la grande idée qu’on prétend lui faire exprimer et que nous n’arrivons même pas à mettre en pratique entre membres de confessions religieuses différentes ou entre partis politiques opposés. Si l'on veut sortir de cette conception et de cette pratique de la pseudo-tolérance, véritable cyanure dans nos religions, nos partis politiques et nos sociétés en général, il nous faut passer à l'idée de respect en essayant de réorienter notre conception de la tolérance.
Nous considèrerons donc un deuxième sens, plus éloigné de l’étymologie et des définitions, celui qui fait de la tolérance, une acceptation de la différence d’être et de la pensée, c’est-à-dire, de l’hétérogénéité des cultures et de la pluralité des idées. Tolérer c’est admettre que quelqu’un puisse penser ou agir de façon différente de soi sans être ni dans le vrai, ni dans le faux. Nous devons nous défaire de ces croyances absolues ou ces convictions religieuses et politiques qui nous font croire en la détention de la vérité en brimant les autres car comme le disait Kant, la croyance est une affaire de liberté et non une affaire d’autorité : « Conviction rationnelle doit pouvoir rendre raison d’elle-même. Il doit toujours être possible de communiquer sa croyance et de la trouver valable pour la raison de tout homme » .
Nous abordons dans le même sens que Claude Lévi-Strauss, dans Race et histoire, pour dire qu’il n’y a aucune falsifications de l’humain authentique, comme veulent le faire croire les ethnocentriques, se considérant comme étant au centre de l’univers et prenant leurs habitudes pour norme absolue.
Quelle différence pensez-vous qu’il y ait entre le racisme, l’ethnocentrisme, la xénophobie, le tribalisme et toute autre forme de ségrégation ? Aucune, si ce n’est un point commun : un culte de l'intolérance et donc la méprise de la valeur humaine. La vie en société, nous impose bien de faire avec les particularités de chacun : tolérer les goûts et les dégouts des uns, les rêves ou les idées des autres. La diversité d’idées n’a jamais été un problème tant qu’elle ne tombe pas dans le fanatisme ou l’excès. La diversité est l’expression à la fois de la liberté et de la culture et cette expression doit être tolérée, c’est-à-dire acceptée et respectée tant qu’elle ne constitue pas une atteinte à la morale universelle, c’est-à-dire cet ensemble de règles régissant des rapports de bonne cohabitation et de convivialité entre humains dans les sociétés. Tolérer devrait donc renvoyer au respect de la différence et du droit à la différence ou constituer une plate-forme de compromis sociaux afin de toujours contribuer à un équilibre social.
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