«L’affamé ne peut pas manger un bulletin de vote.»
Berthold Brecht
La révolution du «narguilé» a surpris comme celle de Tunis, les stratèges
occidentaux pensaient que leur système d’intronisation des despotes à la
tête des pays arabes, bien verrouillés, allait durer mille ans. Il n’en fut
rien, le désespoir des jeunes a fait que la superstructure a volé en éclats,
l’Europe a mis du temps à comprendre que ce n’était pas une révolte du
pain classique, mais qu’il y avait un vent de liberté qui soufflait. Pendant
longtemps les tyrans arabes avaient fait miroiter aux Occidentaux le spectre de
l’islamisme
L’Egypte en coupe réglée par les vautours de la finance
Une lettre de lecteur publiée par le Financial Times d’aujourd’hui
confirme le rôle de l’inflation des prix alimentaires en Egypte. La lettre de
Vincent Truglia, intitulée, «C’est la nourriture et non pas la politique qui
est au centre de la contestation en Egypte», affirme que l’alimentation est
«la vraie raison» du soulèvement actuel. «Il ne s’agit pas d’un soudain
désir de réforme. La question essentielle est plutôt le prix de la
nourriture. (...) Le ministère de l’Agriculture égyptien rapporte que 40% de
la consommation alimentaire, comprenant 60% de la consommation intérieure de
blé, l’aliment de base du pays, furent importés. L’Égypte, dans le
passé, un des greniers à blé du monde, est aujourd’hui humiliée par son
statut de plus grand importateur de nourriture mondiale. De plus, le
gouvernement annonça que 50% des approvisionnements en blé furent ravagés par
des insectes. Un tel gouvernement jette des doutes sur sa compétence.(...)
L’enjeu n’est pas un enjeu politique; il s’agit de nourriture.(1)
«Crise sociale en Égypte, écrit Michel Chossudovsky: une aubaine pour les
investisseurs de Wall Street et les spéculateurs. Y a-t-il une intention
cachée derrière la décision de Moubarak de ne pas se retirer? La décision de
Moubarak de ne pas démissionner a été prise en collaboration étroite avec
Washington. L’administration étasunienne, y compris les services de
renseignement étasuniens, ont soigneusement identifié les scénarios
probables. (...) Le pillage de la richesse monétaire du pays fait partie
intégrante du programme macroéconomique. (...) Selon des sources officielles,
la Banque centrale d’Égypte détenait 36 milliards de dollars en devises,
ainsi que 21 milliards de dollars additionnels en dépôts dans des institutions
financières internationales. La dette extérieure de l’Égypte, laquelle
s’est accrue de plus de 50% dans les cinq dernières années, est de l’ordre
de 34,1 milliards de dollars (2009). Cela signifie que ces réserves de la
Banque centrale sont de facto basées sur de l’argent emprunté. (...) Dans
les jours qui ont précédé le discours de Moubarak, l’évasion de capitaux
roulait au rythme de plusieurs centaines de millions de dollars par jour. (...)
Bouleversement financier, hausse de la dette, augmentation en flèche des prix
des aliments: avant que l’on ait réclamé des élections «démocratiques»,
l’Égypte aura été soumise aux règles rigides d’une nouvelle série de
conditions du FMI.(2)
En fait, le pain ne suffit plus, il faut aussi ajouter la liberté. Parlant de
la révolte égyptienne, le professeur Steven Laurence Kaplan note que «les
enjeux de cette «mystique» sont autrement explosifs en Egypte, où elle
s’épanouit pleinement ces jours-ci. Comme en Tunisie, où, dans les
manifestations de la révolution dite de jasmin, on brandissait des pains -
toujours signe d’une sévère réprobation sociale -, en Egypte le pain est
très présent dans le répertoire de l’action collective. Au pays des
Pharaons, ce n’est pas un fait nouveau. En 1977, déjà, de façon
spectaculaire, et encore en 2008, les émeutes du pain ont ébranlé le régime.
Secouru par d’importantes subventions américaines, le Raïs a fait cuire et
distribuer le pain par une armée déjà assez proche des soucis populaires. A
l’heure actuelle, le pain resurgit en Egypte, avec une revendication au moins
aussi aiguë et urgente: la liberté». Le Monde du 28 janvier rend compte des
manifestants cairotes scandant «Du pain! De la liberté». Trois jours plus
tard, le même journal raconte que, la nuit, sur la place Tahrir, dite de la
Libération, épicentre de la révolte égyptienne, on improvise des matches de
football: «Deux équipes ont été créées: celle du «Pain» et celle de la
«Liberté». Dimanche, c’est l’équipe du «Pain» qui a gagné.» (...)
«Le pauvre aime mieux le pain que la liberté», constatait Rousseau. (...)
Dans le cas égyptien, où la misère pèse lourdement, mais où les pauvres et
les exclus de toutes sortes sont rejoints par des diplômés, des salariés
frustrés, des victimes de passe-droits et de la corruption, il paraît
aujourd’hui que la liberté l’emporte. Le pain, c’est nécessaire, c’est
la survie; l’exiger, c’est aussi protester contre des inégalités criantes
(...). Mais le pain ne suffit plus, pas tout seul, car une fois qu’il
redevient abondant et bon marché, il risque de masquer l’essentiel, la
perpétuation des structures de l’injustice et de l’asservissement. D’où
son lien désormais indivisible avec la liberté. (...) Sans conquérir cette
liberté fondatrice, matrice, le pain ne sera jamais celui des Egyptiens
eux-mêmes; et le pain d’autrui est toujours amer. (...) Le paradoxe est que
trop de liberté, dans son éclosion prométhéenne, dans son ambition
totalisante, prive le citoyen lambda de sa ration de pain et, à terme, de sa
liberté.(...)» (3)
Soledad Gallego écrit dans le même sens: «Personne ne peut s’arroger la
gloire, ni même le plaisir d’avoir anticipé ce qui couvait au sein des
jeunes sociétés arabes: pas la menace fondamentaliste tant rebattue, mais un
ras-le-bol profond face aux régimes despotiques et dictatoriaux protégés par
l’Occident. Des millions d’Arabes, dans leur immense majorité musulmans, ne
sont pas descendus dans la rue pour demander qu’on ne critique pas certains
aspects de leur religion, ou pour défendre leurs différences culturelles,
moins encore pour exiger l’application de la loi islamique. Non, ils sont
descendus pour quelque chose de bien plus direct, quelque chose d’exemplaire:
que soit respecté, précisément, ce qu’ils ont de commun avec le reste de
l’humanité, le droit de voter librement, le droit à la souveraineté et à
la même dignité que tous les autres peuples et nations. Les Etats-Unis au
moins pourront se rappeler que Barack Obama est allé en juin 2009 à
l’université du Caire pour dire que, quelle que soit la religion dont on se
proclame, il existe ce que l’on appelle les droits de l’homme, et que tous
les peuples aspirent pour l’essentiel à une poignée identique de
prétentions communes, «la possibilité de s’exprimer librement et d’avoir
une voix dans la façon dont ils sont gouvernés, la confiance en l’Etat de
droit, [...] un gouvernement [...] qui ne vole pas ce qui appartient à son
peuple; la liberté de vivre selon leur choix»(4)
La succession de Moubarak: imprimatur des Etats-Unis
Justement on ne peut qu’être dubitatif en comparant le discours d’Obama
au Caire et qui a fait date, rappelant celui du président Wilson après la
boucherie de la Première Guerre mondiale proclamant que les pays colonisés
devraient être maîtres de leur destin et même celui de Truman à la fin de la
Seconde Guerre mondiale, la realpolitik est plus amère. Pour Washington, il est
fondamental de maintenir le contrôle de la structure portante des forces
armées égyptiennes, que les États-Unis ont financées, équipées et
entraînées, dépêché en vitesse au Caire le 31 janvier pour des rencontres
de haut niveau avec Hosni Moubarak, qui a confirmé qu’il ne démissionnerait
pas de la présidence avant la tenue d’élections prévues pour l’automne
2011. Dans une déclaration publique, M.Wisner a confirmé que Moubarak devrait
avoir le droit de demeurer en poste.(5) Selon le plan de Washington, cette
transition devrait débuter avec un gouvernement «transitoire» soutenu par les
forces armées et si possible chapeautée par Omar Souleiman, un homme fort qui
jouit de la plus grande estime à Washington et à Tel Aviv.
Que faire de Moubarak? Samedi 5 février, le New York Times révélait que le
gouvernement américain négociait avec l’armée égyptienne un plan pour
envoyer Moubarak en Allemagne (le président égyptien aurait un cancer) pour un
«check-up médical prolongé» si besoin, lui fournissant une porte de sortie
digne si les manifestations continuent. [Et maintenant] Der Spiegel rapporte que
Hosni Moubarak a un plan pour quitter l’Egypte et faire un «séjour à
l’hôpital» en Allemagne, et que ce plan est plus concret que ce que les
responsables veulent bien le laisser entendre.
L’affaire des islamistes: la malhonnêteté de l’Occident et des médias
aux ordres
Le spectre de l’islamisme a servi de bouclier aux tyrans de Ben Ali et
Moubarak vis-à-vis de l’Europe prête à tout pardonner. L’ex-ministre de
l’Intérieur égyptien, Habib El Adly, serait à l’origine de l’attentat
du Nouvel An contre les Coptes d’Alexandrie. Le clan Moubarak, les médias
français et Nicolas Sarkozy, se sont servis de cet attentat d’Alexandrie pour
accuser les Palestiniens et/ou les «islamistes égyptiens» en parlant
«d’épuration religieuse» pratiquée, selon eux, contre les chrétiens du
Moyen-Orient. Oumma (site musulman d’information et de débats) et La Vie
(journal catholique) avaient été les seuls médias à souligner un fait
singulier: l’absence de toute revendication formelle pour l’attentat
d’Alexandrie. Cet élément méconnu du grand public n’a guère empêché la
plupart des journaux français de reprendre à leur compte la version officielle
du gouvernement égyptien. De plus, rien sur les démonstrations multiples de
fraternité entre Coptes et Musulmans. Rien non plus sur les accusations
portées contre le ministre de l’Intérieur égyptien concernant l’attentat
de l’église d’Alexandrie.
«Selon des sources diplomatiques britanniques, écrit Alain Gresh, l’ancien
ministre de l’Intérieur a établi depuis six ans une organisation dirigée
par 22 officiers qui employait d’anciens islamistes radicaux, des trafiquants
de drogue et des sociétés de sécurité pour mener des actes de sabotage à
travers le pays au cas où le régime serait en difficulté.» Il faut ajouter,
concernant les Coptes, que le pouvoir voulait attiser les divisions entre
musulmans et chrétiens pour pouvoir se présenter comme le garant de la
stabilité. D’ailleurs, depuis le début des événements, et alors que la
police a disparu des rues, aucun attentat contre un lieu de culte chrétien
n’a eu lieu. Dans de nombreux cas, des prêtres et des imams ont prêché
ensemble et des jeunes ont assuré la sécurité.(6)
«Dans cette situation ouverte, poursuit Alain Gresh, alors que la victoire
des forces démocratiques n’est pas assurée, loin de là, nombre
d’intellectuels et de politiques français et étrangers s’inquiètent des
menaces qui pèseraient sur l’avenir de l’Egypte et pas sur le maintien de
la dictature (lire Pascal Boniface, «Adler, BHL et Finkielkraut anxieux face à
la perspective d’une Egypte démocratique», 7 février)! Pour ceux-là, qui
ont rarement protesté contre la répression en Egypte ou en Tunisie (des
milliers de personnes arrêtées, torturées, condamnées), qui sont bien
silencieux sur le Maroc, le danger ne vient pas du maintien du régime, mais des
Frères musulmans. Cette manière de décider pour les autres peuples est
caractéristique d’une vision coloniale, d’une vision de grande
puissance»(6).
De même, un article de Max LeVine, tente de sortir des clichés de
diabolisation de l’Islam. Beaucoup de gens, écrit-il, y compris les
dirigeants égyptiens, ont brandi la menace d’une mainmise des Frères
musulmans pour justifier la dictature en citant l’Iran comme un exemple
historique. Mais la comparaison souffre à cause de nombreuses différences
historiques. Les Frères musulmans n’ont pas de dirigeant ayant la stature de
Khomeïni et ça fait des dizaines d’années qu’ils ont renié la violence.
Il n’y a pas non plus un culte du martyr prêt à surgir de hordes de jeunes,
comme ce fut le cas au cours de la Révolution islamique. Mais il est clair
aussi que la religion constitue une part importante de la dynamique qui se
développe. En fait, la photo la plus représentative de la révolution est
peut-être celle des gens sur la place de la Libération en train de prier,
encerclant littéralement un groupe de tanks qui avaient été envoyés sur
place pour asseoir l’autorité du gouvernement. (...)Il s’agit là d’une
image de l’Islam radicalement différente de celle que la plupart des gens ont
l’habitude de voir, aussi bien dans le monde musulman que dans le monde
occidental: un Islam qui s’oppose pacifiquement à la violence d’Etat; une
djihad pacifique et sans la présence des médias internationaux pour en
parler.(7)
«Pour ceux qui ne comprennent pas pourquoi le président Obama et ses alliés
européens ont eu tant de mal à se ranger aux côtés des forces de la
démocratie, la raison est que la coalition des forces politiques et sociales
derrière les révolutions en Tunisie et en Égypte - et peut-être ailleurs
demain - constitue une menace bien plus grande au «système global», qu’Al
Qaîda. Tout gouvernement «du peuple», islamique ou laïc, se détournera des
politiques néolibérales qui ont enrichi les élites régionales tout en
enfonçant la moitié ou plus de la population sous le seuil de pauvreté de 2
dollars par jour. (...) En bref, si les révolutions de 2011 réussissent, elles
créeront un système régional et global totalement différent de celui qui a
dominé la politique économique globale depuis des décennies,
particulièrement depuis la chute du communisme».(7)
Il est vrai que les pays occidentaux se taisent, dans un silence complice avec
les tyrans. Quand tout va bien «business a usual». Les pays occidentaux
préfèrent regarder ailleurs, les affaires sont les affaires. De plus, les
dictateurs sont aux petits soins avec les dirigeants pour leurs petites
escapades ou vacances. Il n’est que de voir comment tout le monde se presse au
Maroc pour profiter des largesses du roi, il en est de même avec l’affaire de
la Tunisie et de l’Egypte, où on a vu les plus hautes autorités profiter de
la sueur des Tunisiens et des Egyptiens, sans état d’âme. Ils vont même
jusqu’à indirectement s’ingérer au nom des droits de l’homme qu’ils
découvrent, n’hésitant pas à lâcher leurs protégés pour ne pas
hypothéquer l’avenir et refaire le même scénario avec la nouvelle équipe.
L’Islam politique ne sert plus d’épouvantail, et comme le dit élégamment
Burhan Ghalioun professeur à la Sorbonne: «Les masses arabes ont moins besoin
d’un parfum de paradis que d’un grand vent de liberté». Amen
1.http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middle
east/8288555/Authoritarian-governments-start-stockpiling-food-to-fight-public-anger.html
2.M.Chossudovsky http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid= 23108
6.02. 11
3.Steven Laurence Kaplan: Le pain reste le symbole de la contestation
LeMonde.fr 07.02.11
4.Soledad Gallego: Van Rompuy et Ashton s’enlisent Díaz El País 08.02.2011
5.Michel Chossudovsky Égypte: l’opération clandestine du renseignement
étasunien Mondialisation.ca, le 7 février 2011
6.Alain Gresh:En Egypte, rien n’est joué Le Monde Diplomatique mardi 8
février 2011
7.Max LeVine: http://www.legrandsoir. info/L-emergence d’un nouvel ordre
mondial
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
occidentaux pensaient que leur système d’intronisation des despotes à la
tête des pays arabes, bien verrouillés, allait durer mille ans. Il n’en fut
rien, le désespoir des jeunes a fait que la superstructure a volé en éclats,
l’Europe a mis du temps à comprendre que ce n’était pas une révolte du
pain classique, mais qu’il y avait un vent de liberté qui soufflait. Pendant
longtemps les tyrans arabes avaient fait miroiter aux Occidentaux le spectre de
l’islamisme
L’Egypte en coupe réglée par les vautours de la finance
Une lettre de lecteur publiée par le Financial Times d’aujourd’hui
confirme le rôle de l’inflation des prix alimentaires en Egypte. La lettre de
Vincent Truglia, intitulée, «C’est la nourriture et non pas la politique qui
est au centre de la contestation en Egypte», affirme que l’alimentation est
«la vraie raison» du soulèvement actuel. «Il ne s’agit pas d’un soudain
désir de réforme. La question essentielle est plutôt le prix de la
nourriture. (...) Le ministère de l’Agriculture égyptien rapporte que 40% de
la consommation alimentaire, comprenant 60% de la consommation intérieure de
blé, l’aliment de base du pays, furent importés. L’Égypte, dans le
passé, un des greniers à blé du monde, est aujourd’hui humiliée par son
statut de plus grand importateur de nourriture mondiale. De plus, le
gouvernement annonça que 50% des approvisionnements en blé furent ravagés par
des insectes. Un tel gouvernement jette des doutes sur sa compétence.(...)
L’enjeu n’est pas un enjeu politique; il s’agit de nourriture.(1)
«Crise sociale en Égypte, écrit Michel Chossudovsky: une aubaine pour les
investisseurs de Wall Street et les spéculateurs. Y a-t-il une intention
cachée derrière la décision de Moubarak de ne pas se retirer? La décision de
Moubarak de ne pas démissionner a été prise en collaboration étroite avec
Washington. L’administration étasunienne, y compris les services de
renseignement étasuniens, ont soigneusement identifié les scénarios
probables. (...) Le pillage de la richesse monétaire du pays fait partie
intégrante du programme macroéconomique. (...) Selon des sources officielles,
la Banque centrale d’Égypte détenait 36 milliards de dollars en devises,
ainsi que 21 milliards de dollars additionnels en dépôts dans des institutions
financières internationales. La dette extérieure de l’Égypte, laquelle
s’est accrue de plus de 50% dans les cinq dernières années, est de l’ordre
de 34,1 milliards de dollars (2009). Cela signifie que ces réserves de la
Banque centrale sont de facto basées sur de l’argent emprunté. (...) Dans
les jours qui ont précédé le discours de Moubarak, l’évasion de capitaux
roulait au rythme de plusieurs centaines de millions de dollars par jour. (...)
Bouleversement financier, hausse de la dette, augmentation en flèche des prix
des aliments: avant que l’on ait réclamé des élections «démocratiques»,
l’Égypte aura été soumise aux règles rigides d’une nouvelle série de
conditions du FMI.(2)
En fait, le pain ne suffit plus, il faut aussi ajouter la liberté. Parlant de
la révolte égyptienne, le professeur Steven Laurence Kaplan note que «les
enjeux de cette «mystique» sont autrement explosifs en Egypte, où elle
s’épanouit pleinement ces jours-ci. Comme en Tunisie, où, dans les
manifestations de la révolution dite de jasmin, on brandissait des pains -
toujours signe d’une sévère réprobation sociale -, en Egypte le pain est
très présent dans le répertoire de l’action collective. Au pays des
Pharaons, ce n’est pas un fait nouveau. En 1977, déjà, de façon
spectaculaire, et encore en 2008, les émeutes du pain ont ébranlé le régime.
Secouru par d’importantes subventions américaines, le Raïs a fait cuire et
distribuer le pain par une armée déjà assez proche des soucis populaires. A
l’heure actuelle, le pain resurgit en Egypte, avec une revendication au moins
aussi aiguë et urgente: la liberté». Le Monde du 28 janvier rend compte des
manifestants cairotes scandant «Du pain! De la liberté». Trois jours plus
tard, le même journal raconte que, la nuit, sur la place Tahrir, dite de la
Libération, épicentre de la révolte égyptienne, on improvise des matches de
football: «Deux équipes ont été créées: celle du «Pain» et celle de la
«Liberté». Dimanche, c’est l’équipe du «Pain» qui a gagné.» (...)
«Le pauvre aime mieux le pain que la liberté», constatait Rousseau. (...)
Dans le cas égyptien, où la misère pèse lourdement, mais où les pauvres et
les exclus de toutes sortes sont rejoints par des diplômés, des salariés
frustrés, des victimes de passe-droits et de la corruption, il paraît
aujourd’hui que la liberté l’emporte. Le pain, c’est nécessaire, c’est
la survie; l’exiger, c’est aussi protester contre des inégalités criantes
(...). Mais le pain ne suffit plus, pas tout seul, car une fois qu’il
redevient abondant et bon marché, il risque de masquer l’essentiel, la
perpétuation des structures de l’injustice et de l’asservissement. D’où
son lien désormais indivisible avec la liberté. (...) Sans conquérir cette
liberté fondatrice, matrice, le pain ne sera jamais celui des Egyptiens
eux-mêmes; et le pain d’autrui est toujours amer. (...) Le paradoxe est que
trop de liberté, dans son éclosion prométhéenne, dans son ambition
totalisante, prive le citoyen lambda de sa ration de pain et, à terme, de sa
liberté.(...)» (3)
Soledad Gallego écrit dans le même sens: «Personne ne peut s’arroger la
gloire, ni même le plaisir d’avoir anticipé ce qui couvait au sein des
jeunes sociétés arabes: pas la menace fondamentaliste tant rebattue, mais un
ras-le-bol profond face aux régimes despotiques et dictatoriaux protégés par
l’Occident. Des millions d’Arabes, dans leur immense majorité musulmans, ne
sont pas descendus dans la rue pour demander qu’on ne critique pas certains
aspects de leur religion, ou pour défendre leurs différences culturelles,
moins encore pour exiger l’application de la loi islamique. Non, ils sont
descendus pour quelque chose de bien plus direct, quelque chose d’exemplaire:
que soit respecté, précisément, ce qu’ils ont de commun avec le reste de
l’humanité, le droit de voter librement, le droit à la souveraineté et à
la même dignité que tous les autres peuples et nations. Les Etats-Unis au
moins pourront se rappeler que Barack Obama est allé en juin 2009 à
l’université du Caire pour dire que, quelle que soit la religion dont on se
proclame, il existe ce que l’on appelle les droits de l’homme, et que tous
les peuples aspirent pour l’essentiel à une poignée identique de
prétentions communes, «la possibilité de s’exprimer librement et d’avoir
une voix dans la façon dont ils sont gouvernés, la confiance en l’Etat de
droit, [...] un gouvernement [...] qui ne vole pas ce qui appartient à son
peuple; la liberté de vivre selon leur choix»(4)
La succession de Moubarak: imprimatur des Etats-Unis
Justement on ne peut qu’être dubitatif en comparant le discours d’Obama
au Caire et qui a fait date, rappelant celui du président Wilson après la
boucherie de la Première Guerre mondiale proclamant que les pays colonisés
devraient être maîtres de leur destin et même celui de Truman à la fin de la
Seconde Guerre mondiale, la realpolitik est plus amère. Pour Washington, il est
fondamental de maintenir le contrôle de la structure portante des forces
armées égyptiennes, que les États-Unis ont financées, équipées et
entraînées, dépêché en vitesse au Caire le 31 janvier pour des rencontres
de haut niveau avec Hosni Moubarak, qui a confirmé qu’il ne démissionnerait
pas de la présidence avant la tenue d’élections prévues pour l’automne
2011. Dans une déclaration publique, M.Wisner a confirmé que Moubarak devrait
avoir le droit de demeurer en poste.(5) Selon le plan de Washington, cette
transition devrait débuter avec un gouvernement «transitoire» soutenu par les
forces armées et si possible chapeautée par Omar Souleiman, un homme fort qui
jouit de la plus grande estime à Washington et à Tel Aviv.
Que faire de Moubarak? Samedi 5 février, le New York Times révélait que le
gouvernement américain négociait avec l’armée égyptienne un plan pour
envoyer Moubarak en Allemagne (le président égyptien aurait un cancer) pour un
«check-up médical prolongé» si besoin, lui fournissant une porte de sortie
digne si les manifestations continuent. [Et maintenant] Der Spiegel rapporte que
Hosni Moubarak a un plan pour quitter l’Egypte et faire un «séjour à
l’hôpital» en Allemagne, et que ce plan est plus concret que ce que les
responsables veulent bien le laisser entendre.
L’affaire des islamistes: la malhonnêteté de l’Occident et des médias
aux ordres
Le spectre de l’islamisme a servi de bouclier aux tyrans de Ben Ali et
Moubarak vis-à-vis de l’Europe prête à tout pardonner. L’ex-ministre de
l’Intérieur égyptien, Habib El Adly, serait à l’origine de l’attentat
du Nouvel An contre les Coptes d’Alexandrie. Le clan Moubarak, les médias
français et Nicolas Sarkozy, se sont servis de cet attentat d’Alexandrie pour
accuser les Palestiniens et/ou les «islamistes égyptiens» en parlant
«d’épuration religieuse» pratiquée, selon eux, contre les chrétiens du
Moyen-Orient. Oumma (site musulman d’information et de débats) et La Vie
(journal catholique) avaient été les seuls médias à souligner un fait
singulier: l’absence de toute revendication formelle pour l’attentat
d’Alexandrie. Cet élément méconnu du grand public n’a guère empêché la
plupart des journaux français de reprendre à leur compte la version officielle
du gouvernement égyptien. De plus, rien sur les démonstrations multiples de
fraternité entre Coptes et Musulmans. Rien non plus sur les accusations
portées contre le ministre de l’Intérieur égyptien concernant l’attentat
de l’église d’Alexandrie.
«Selon des sources diplomatiques britanniques, écrit Alain Gresh, l’ancien
ministre de l’Intérieur a établi depuis six ans une organisation dirigée
par 22 officiers qui employait d’anciens islamistes radicaux, des trafiquants
de drogue et des sociétés de sécurité pour mener des actes de sabotage à
travers le pays au cas où le régime serait en difficulté.» Il faut ajouter,
concernant les Coptes, que le pouvoir voulait attiser les divisions entre
musulmans et chrétiens pour pouvoir se présenter comme le garant de la
stabilité. D’ailleurs, depuis le début des événements, et alors que la
police a disparu des rues, aucun attentat contre un lieu de culte chrétien
n’a eu lieu. Dans de nombreux cas, des prêtres et des imams ont prêché
ensemble et des jeunes ont assuré la sécurité.(6)
«Dans cette situation ouverte, poursuit Alain Gresh, alors que la victoire
des forces démocratiques n’est pas assurée, loin de là, nombre
d’intellectuels et de politiques français et étrangers s’inquiètent des
menaces qui pèseraient sur l’avenir de l’Egypte et pas sur le maintien de
la dictature (lire Pascal Boniface, «Adler, BHL et Finkielkraut anxieux face à
la perspective d’une Egypte démocratique», 7 février)! Pour ceux-là, qui
ont rarement protesté contre la répression en Egypte ou en Tunisie (des
milliers de personnes arrêtées, torturées, condamnées), qui sont bien
silencieux sur le Maroc, le danger ne vient pas du maintien du régime, mais des
Frères musulmans. Cette manière de décider pour les autres peuples est
caractéristique d’une vision coloniale, d’une vision de grande
puissance»(6).
De même, un article de Max LeVine, tente de sortir des clichés de
diabolisation de l’Islam. Beaucoup de gens, écrit-il, y compris les
dirigeants égyptiens, ont brandi la menace d’une mainmise des Frères
musulmans pour justifier la dictature en citant l’Iran comme un exemple
historique. Mais la comparaison souffre à cause de nombreuses différences
historiques. Les Frères musulmans n’ont pas de dirigeant ayant la stature de
Khomeïni et ça fait des dizaines d’années qu’ils ont renié la violence.
Il n’y a pas non plus un culte du martyr prêt à surgir de hordes de jeunes,
comme ce fut le cas au cours de la Révolution islamique. Mais il est clair
aussi que la religion constitue une part importante de la dynamique qui se
développe. En fait, la photo la plus représentative de la révolution est
peut-être celle des gens sur la place de la Libération en train de prier,
encerclant littéralement un groupe de tanks qui avaient été envoyés sur
place pour asseoir l’autorité du gouvernement. (...)Il s’agit là d’une
image de l’Islam radicalement différente de celle que la plupart des gens ont
l’habitude de voir, aussi bien dans le monde musulman que dans le monde
occidental: un Islam qui s’oppose pacifiquement à la violence d’Etat; une
djihad pacifique et sans la présence des médias internationaux pour en
parler.(7)
«Pour ceux qui ne comprennent pas pourquoi le président Obama et ses alliés
européens ont eu tant de mal à se ranger aux côtés des forces de la
démocratie, la raison est que la coalition des forces politiques et sociales
derrière les révolutions en Tunisie et en Égypte - et peut-être ailleurs
demain - constitue une menace bien plus grande au «système global», qu’Al
Qaîda. Tout gouvernement «du peuple», islamique ou laïc, se détournera des
politiques néolibérales qui ont enrichi les élites régionales tout en
enfonçant la moitié ou plus de la population sous le seuil de pauvreté de 2
dollars par jour. (...) En bref, si les révolutions de 2011 réussissent, elles
créeront un système régional et global totalement différent de celui qui a
dominé la politique économique globale depuis des décennies,
particulièrement depuis la chute du communisme».(7)
Il est vrai que les pays occidentaux se taisent, dans un silence complice avec
les tyrans. Quand tout va bien «business a usual». Les pays occidentaux
préfèrent regarder ailleurs, les affaires sont les affaires. De plus, les
dictateurs sont aux petits soins avec les dirigeants pour leurs petites
escapades ou vacances. Il n’est que de voir comment tout le monde se presse au
Maroc pour profiter des largesses du roi, il en est de même avec l’affaire de
la Tunisie et de l’Egypte, où on a vu les plus hautes autorités profiter de
la sueur des Tunisiens et des Egyptiens, sans état d’âme. Ils vont même
jusqu’à indirectement s’ingérer au nom des droits de l’homme qu’ils
découvrent, n’hésitant pas à lâcher leurs protégés pour ne pas
hypothéquer l’avenir et refaire le même scénario avec la nouvelle équipe.
L’Islam politique ne sert plus d’épouvantail, et comme le dit élégamment
Burhan Ghalioun professeur à la Sorbonne: «Les masses arabes ont moins besoin
d’un parfum de paradis que d’un grand vent de liberté». Amen
1.http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middle
east/8288555/Authoritarian-governments-start-stockpiling-food-to-fight-public-anger.html
2.M.Chossudovsky http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid= 23108
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5.Michel Chossudovsky Égypte: l’opération clandestine du renseignement
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7.Max LeVine: http://www.legrandsoir. info/L-emergence d’un nouvel ordre
mondial
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
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