La Conférence des procureurs est une association, quasi-institutionnelle. Les procureurs disposent de la liberté syndicale, et ils en font bon usage. Mais à côté de cette capacité revendicative, ils ont créé il y a une dizaine d’années, cette association qui regroupe des procureurs de la République es qualité, et qui prend position es qualité aussi. Autant dire que les mots sont pesés.
Hier, au palais de justice de Paris, cette sage assemblée a tenu une conférence de presse pour présenter une motion qui a tout du missile en direction du gouvernement.
On compte 163 procureurs de la République en France, et 126 procureurs ont signé le texte. Pas mal… c’est du jamais vu, d’autant plus que le texte n’est pas piqué des hannetons. La Conférence appelle solennellement l'attention « du législateur, du gouvernement et de l'opinion publique sur la gravité de la situation dans laquelle se trouvent aujourd'hui les parquets et l'urgence de leur donner les conditions d'exercer dignement leurs nombreuses missions ».
Premier point, le statut. Tout le monde connait le problème : les procureurs restent dans un lien hiérarchique avec le gouvernement, et le ministre les nomme après avoir pris l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature, mais être tenu de suivre cet avis. Résultat des courses : les procureurs ne sont pas dans les clous de la justice indépendante et impartiale, ce qui conduit à remettre en cause celles de leurs interventions les plus impliquées dans le processus judiciaire. Fâcheux, et la CEDH veille.
« Magistrats à part entière (...) les procureurs de la République appellent à une mise à niveau de leur statut (...) pour leur nomination et le contrôle de l'exercice de leur fonction, afin de répondre aux nécessités d'une justice impartiale et de permettre d'établir la confiance des citoyens ». Au passage, notez le constat : s’il faut rétablir la confiance des citoyens, c’est que les procureurs estiment qu’elle n’est plus au rendez-vous. Ambiance.
La réponse est simple : aligner le mode de nomination sur celui des magistrats du siège, c’est-à-dire sur avis conforme du CSM.
Deuxième point : plus de sous ! Les proc dénoncent « les moyens très insuffisants mis à la disposition des parquets pour l'exercice de leurs missions, dont le périmètre n'a cessé de croître ».
Troisième point : moins de lois ! La Conférence appelle à une « stabilisation normative », relevant que « l'avalanche des textes qui modifient sans cesse le droit et les pratiques, souvent dans l'urgence, fait que les magistrats du parquet n'ont plus la capacité d'assurer leur mission d'application de la loi ».
Et après ?
Les procureurs vont-ils être entendus ? Pas de doute, ils seront entendus. Le message est reçu 5 sur 5 au ministère, car compte moins le contenu du texte – du classique – que la forme donnée, qui s’exerçant hors des fonctions syndicales, est un défi à l’autorité ministérielle.
Les vœux des procureurs seront-ils exhaussés ? Pas de doute non plus : il n’y a aucune chance pour cela.
Du côté de la Droite, c’est niet. L’UMP veut garder la hiérarchie, quitte à affaiblir la portée judiciaire de l’action du parquet. On reste sur la ligne de la charmante et délicieuse Dati, qui faisait une comparaison directe entre les préfets et les procureurs. Avec Mercier, c’est plus onctueux et très faux-cul, mais c’est itou. Quant à la frénésie législative,… c’est consubstantiel au sarkozysme, car la loi n’est plus la règle générale qui régit l’ordre public mais un outil de communication.
Du côté de la Gauche, rien de mieux à attendre. L’amuseur Vallini s’est aussitôt précipité pour dire que Hollande était pour la nomination conforme à l’avis du CSM… Grand progrès : c’est ce que faisait Guigou quand elle était ministre. Mais un procureur vraiment magistrat, qui assume tous les facettes judicaires de l’enquête et de l’accusation, ça va bien au-delà comme cela a été souvent abordé ici. S’il y a indépendance, quel statut et quelles responsabilités pour le chef national du parquet ? Et si le parquet monte en puissance du fait d’une nouvelle impartialité – ce qu’il faut souhaiter – quelle rééquilibrage des droits de la défense ? La Gauche est ici balbutiante. Ajoutons que si la Gauche gagne, elle va défaire les plus crapoteuses des lois sarkozystes et en voter de nouvelles… On n’a pas fini.
En réalité, l’un des aspects du problème est que les procureurs, qui ont un rôle si important dans la vie sociale, n’ont collectivement qu'un poids politique marginal. Ils paient cash le prix de décennies de fonctionnement hiérarchique. Et puis, aborder le renouveau en mettant en avant le statut et les moyens,… on aurait pu faire mieux, non ?