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Procès Chirac : L’indépendance de la Justice

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Procès Chirac : L’indépendance de la Justice

Reconnu coupable de détournements de fonds publics et d’abus de confiance, Jacques Chirac a été condamné ce jour par le tribunal correctionnel de Paris à une peine de deux ans d’emprisonnement avec sursis. Le temps passant, et avec les bons souvenirs laissés par sa présidence, notamment en refusant d’intervenir en Irak, Jacques Chirac était devenu un peu l’ami de tous. C’est donc un ami qui est condamné mais pour autant il n’est pas possible de donner tort à la justice. Bien au contraire.

Ce que dit le tribunal

Le tribunal a procédé publiquement à la lecture de la synthèse du jugement, mais il faut tout d’abord avoir du respect pour le jugement lui-même, qui doit être un texte important, retraçant dans le détail l’ensemble des faits, pour chercher les corrélations avec le droit et en tirer cette conséquence : la culpabilité pour les délits de détournements de fonds publics et d’abus de confiance, et des relaxes partielles pour les faits d’ingérence et de prise illégale d’intérêt. Jacques Chirac est déclaré coupable, et le jugement ne peut parvenir à cette conclusion que par un raisonnement très étayé. Aussi, la lecture des attendus complets du jugement sera très intéressante.

Nous avons eu un excellent compte rendu de la lecture du jugement par le compte rendu fait en direct par Pascale Robert-Diard, la journaliste du Monde, et le président de la 11° chambre a tenu des phrases particulièrement sévères.

Le tribunal s’est appuyé sur les travaux de la Chambre Régionale des Comptes, qui avaient mis en évidence « le manque de transparence des recrutements, des chargés de missions à la Ville de Paris » et avaient dénoncé l’inflation de ces chargés d’emplois.

Pour le tribunal, « Jacques Chirac avait connaissance des procédures, qu’il savait que ce mode de recrutement était largement utilisé, qu’il maîtrisait le processus décisionnel ». Il rappelle cette phrase de Jacques Chirac : « J’assume les recrutements. Dès lors il serait injuste d’en rendre responsable les directeurs de cabinet ».

Le tribunal ajoute que l’analyse des comptes montre que ceux-ci ont été maintenus pendant de longues années et que les anciens directeurs de cabinet, à savoir Michel Roussin ou Rémi Chardon n’ont pas été les concepteurs de ce système. Le tribunal marginalise leur rôle et recentre la responsabilité sur l’ancien maire de Paris.

Le tribunal a ensuite procédé à une analyse très fouillée, poste par poste, pour voir si l’emploi pouvait être considéré comme fictif, c'est-à-dire financé par la ville, mais avec des tâches qui concernaient essentiellement le RPR, avant de conclure que les délits d’abus de confiance et de détournement de fonds publics étaient établis.

Le Président a expliqué que Jacques Chirac avait connaissance de l’irrégularité des moyens de financement, qu’il présidait les réunions d’arbitrage, que sa responsabilité découle du mandat reçu par les parisiens, et qu’il a été l’initiateur du système, avant d’asséner cette phrase sévère : « Jacques Chirac a manqué à l’obligation de probité qui pèse sur les responsables publics au mépris de l’intérêt des parisiens ».

Arrivé  à ce point de la démonstration, le tribunal ne pouvait qu’entrer en voie de condamnation. On relève le décalage avec les autres personnes condamnées, environ 3 mois avec sursis, et le changement de seuil pour jacques Chirac condamné à 2 ans avec sursis. La conviction du tribunal est ainsi parfaitement claire : il a été l’initiateur et le bénéficiaire de ce système de détournement de l'argent public.

Un tribunal, saisi des faits, doit se prononcer même si le parquet abandonne l’accusation

chirac,ump,argentIl y avait à l’origine du procès beaucoup de scepticisme dès lors que la principale partie civile la Ville s’était retirée du procès, et que le Procureur, à plusieurs reprises et lors l’audience, avait conclu à la relaxe. C’était un procès sans victime, et sans accusateur.

Le jugement du tribunal donne ici une leçon magistrale à ceux qui pouvaient douter. Un tribunal correctionnel est saisi des faits. Il a le devoir de vérifier si sur le plan de la preuve ces faits sont établis, de rechercher les qualifications pénales et d’en tirer les conséquences en application de la loi.

Dans un procès civil, le juge est l’arbitre entre des points de vue différents, et si les parties s’accordent, le juge en prend acte. Au pénal, le tribunal est saisi des faits par l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction, et il doit aller au terme de sa mission.

L’attitude de la Ville de Paris était logique : elle réclamait une indemnisation liée aux préjudices subis du fait de ces détournements, et elle avait obtenu le remboursement. La partie civile ne peut agir que dans les limites de ses intérêts, qui étaient satisfaits par le paiement. Si elle avait maintenu sa constitution de partie civile, elle aurait manifestement été déclarée irrecevable car ne poursuivant qu’une visée vindicative.

D’autres associations s’étaient portées parties civiles, se créant une mission de poursuite de la fraude. Elles ont pu participer au procès comme la loi le prévoit, mais elles sont déclarées irrecevables car un groupe privé ne peut pas s’arroger la défense de l’intérêt public.

Désaveu pour le Parquet

chirac,ump,argentL’intérêt public était représenté par le Parquet, et dans son récent entretien à Libération, Jean-Claude Marin, qui était alors Procureur de la République, a expliqué qu’il y avait manifestement des fautes, mais qu’elles n’étaient pas d’une telle ampleur, et que dès lors, il était logique d’abandonner les poursuites.

Au regard de la pratique courante du Parquet, ce point de vue est défendable, le Parquet n’est jamais obligé de poursuivre, et il apprécie l’opportunité. Le remboursement de la victime est la preuve d’un certain amendement et si les faits sont d’une ampleur modérée, il n’est pas choquant que la justice pénale estime que la règle a été suffisamment reconnue.

Là où le tribunal inflige un désaveu au Procureur, c’est par la sévérité de la démonstration et l’importance de la condamnation. Pour le tribunal, il ne s’agit surtout pas d’une affaire secondaire, qui pourrait être considérée comme classée parce que la victime aurait été indemnisée. Il y avait un comportement frauduleux dans la recherche de l’intérêt personnel et au détriment des parisiens en violation des mandats. Le tribunal est à des années lumière de la lecture du dossier par le Procureur.

Un jugement logique et équilibré

La première critique qu’il faut balayer est celle du délai pour juger cette affaire. Les délais se sont imposés à la justice. Une affaire financière de ce type nécessite toujours des investigations complexes, car il faut mettre en lumière des mécanismes de détournement. Mais au temps normal de l’instruction, s’est ajouté celui de l’immunité présidentielle, pour le temps des mandats. Le dossier a ainsi été gelé pendant des années, et il a ensuite repris son cours. Aussi, l’essentiel du délai n’est pas le fait de la justice mais de la simple application de la loi.

Le jugement est sévère mais il est juste. Manifestement, il tient compte des grands services rendus à la collectivité nationale par Jacques Chirac et de son âge. La Ville de Paris a été éreintée par ce système de détournement d’argent public, et cet argent était le moyen de Jacques Chirac de financer ses activités politiques. Il n’y a pas eu enrichissement personnel, certes, mais c’était tout comme car cet argent visait exclusivement à financer sa carrière. Les sommes en jeu sont considérables et le système était parfaitement organisé. La condamnation de Juppé était d’ailleurs un signe avant coureur. Aussi, deux ans avec sursis est une sanction qui est loin d’être sévère.

Y aura-t-il appel ?

chirac,ump,argentLe Procureur comme les prévenus, et donc Jacques Chirac en premier lieu, peuvent interjeter appel. En continuation des proclamations d’innocence, la seule réponse adaptée serait l’appel.

Mais la cour d’appel qui est tenue par le même raisonnement que le tribunal : recherche des preuves et qualification des faits. Arriverait-elle à un résultat sensiblement différent ?  Pourrait-elle passer par pertes et profits les analyses de la Cour Régionale des Comptes ? Pourrait-elle écarter les déclarations du style : « J’assume » ? Lorsqu’il s’agit d’analyser un comportement humain, une cour peut avoir un point de vue très différent d’un tribunal. Lorsqu’il s’agit d’éléments comptables, la marge de manœuvre devient objectivement plus mince.

Il est impossible d’en dire plus sans connaître le dossier, mais je ne serais pas trop surpris par une déclaration du genre : « Je prends acte d’un jugement que je conteste. Mais les faits sont anciens, et les Français veulent tourner la page… »

L’indépendance de la justice

Reste enfin l’indépendance manifeste de la Justice. Le Parquet, de lui-même ou sous les incitations du Ministère de la Justice – qui est son supérieur hiérarchique – a soutenu une thèse qui apparaît aujourd’hui indéfendable. Cette thèse était déjà totalement décalée dès lors que le RPR avait accepté de rembourser la somme considérable de 890 000 €, contrepartie des détournements.

La Ville de Paris ne voulait plus du procès, et le Procureur non plus. Le tribunal répond sagement que la loi est la même pour tous, que la Justice est indépendante, que loin des argumentaires biseautés, elle sait examiner la réalité des faits. Il montre aussi que la Justice peut juger sévèrement un comportement, et rendre une décision au final assez indulgente.

 

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http://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/

 


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