Mercredi 21 décembre à l’occasion d’une cérémonie commémorative, John Brennan, Conseiller en Chef du président Obama en matière de contre-terrorisme ayant passé 25 ans au service de la CIA, a déclaré que les victimes de l’attentat de Lockerbie en Ecosse pouvaient désormais reposer en paix à la suite de l’élimination du Colonel Kadhafi.
Rien, hélas, n’est moins sûr...
Rappel : le 21 décembre 1988 à 18h30, le Boeing 747 de la Pan Am « Clipper Maid of The Seas » quitte le parking K14 à l’aéroport londonien de Heathrow et s’envole en direction de New-York. A 19h01, il explose en vol au dessus du village écossais de Lockerbie, faisant 270 victimes dont 11 villageois.
Aux dires de nombreux témoins appartenant tant à la population locale qu’à la Police écossaise, le périmètre des recherches est sinon bouclé, en tous cas étroitement contrôlé pendant 2 jours par des « officiels américains » arrivés très rapidement sur place. Dans les 3 mois, 90% des débris de l’appareil, les corps et les effets personnels des passagers sont localisés, récupérés et minutieusement examinés.
Les services américains en appellent aux minuteurs suisses
L’enquête s’oriente vers la présence dans le container à bagages n° 4041 de l’appareil, d’une valise supposée provenir de Malte qui contenait la bombe et, affirment les enquêteurs, l’un des 20 minuteurs MST-13 dont on a miraculeusement retrouvé les fragments, prétendument vendus à la Libye par la société suisse MEBO.
Après la Syrie puis l’Iran, les soupçons se portent sur une opération de représailles de la Libye au terme d’un rapprochement expéditif avec l’attaque aérienne ordonnée par R. Reagan en 1986 contre le complexe résidentiel de Kadhafi à Tripoli.
Un mandat d’arrêt international est donc lancé en 1991 contre Abdelbaset Ali Al-Megrahi et Al Amin Khalifa Fhimah, 2 membres présumés des services secrets libyens employés à Malte par la compagnie aérienne nationale libyenne.
Pour forcer la main du fantasque Colonel et le contraindre à livrer ses ressortissants, un boycott et des sanctions contre Tripoli sont décidés par l’ONU. Les résolutions 748 du 31/03/1992 et 883 du 11/11/1993 sont préparées par Michael Scharf, juriste au Département d’Etat depuis 1989.
Le département d'Etat maintenu dans le flou par la CIA et le FBI
Il déclarera bien plus tard : « La CIA et le FBI ont maintenu le Département d’Etat dans le flou. Ca les arrangeait que nous adhérions totalement à la thèse de la responsabilité de la Libye. J’ai personnellement aidé le Bureau du contre-terrorisme à rédiger les documents expliquant les raisons de nos soupçons sur la Libye. Mais elles reposaient moins sur des preuves que sur la présentation par le FBI, la CIA et le Ministère de la Justice, de ce que devrait démontrer le procès, et qu’il a d’ailleurs effectivement démontré… ».
Les sanctions seront levées en 1999 à la suite de la remise des deux suspects à la disposition de la justice écossaise contre la promesse qu’ils soient jugés en terrain neutre. Le procès est finalement organisé par Robert Black professeur de droit écossais à l’université d’Edimbourg, sur une ancienne base militaire aux Pays Bas.
«Une honte pour la justice écossaise»
Présidé par 3 juges écossais, le tribunal siège de mai 2000 à janvier 2001, et voit défiler 230 témoins. Il se termine par l'acquittement de Fhimah et la condamnation le 31/01/2001 d'Al-Megrahi à la prison à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 27 ans. L’homme est libéré pour raison médicale le 20/08/2009 en échange d’une renonciation à former appel de sa condamnation. Il assiste, depuis son lit, à la révolution libyenne et accorde une interview le 03/10/2011 puis une autre le 22 décembre dernier.
Scandalisé, le Professeur Black n’aura de cesse de dénoncer la mascarade : «Le procès à Camp Zeist est une fraude qui a abouti à une condamnation qui est une honte pour la justice écossaise… » affirme-t-il.
De la subtilité de la CIA
Des propos relayés par un autre personnage clef du dossier en la personne de Lord Peter Fraser. En charge de l’accusation (Lord Avocate of Scotland) le procureur écossais droit dans ses bottes déclarait en 1991 : « Nous avons des témoins qui prouveront nos accusations au delà du doute raisonnable ». Interrogé par un journaliste du Times en 2008 sur l’éventualité que la CIA ait déposé elle même les preuves à charge, il se montrait nettement plus nuancé « …je ne sais pas ; personne n’est venu me voir pour me dire ‘maintenant on peut mettre ça sur le dos des libyens’. Ça n’a jamais été aussi direct. La CIA s’est montrée subtile… ».
Faut-il en conclure que l’attribution de l’attentat à la Libye et à feu son dictateur déchu, n’était qu’une conspiration machiavélique de l’Oncle Sam ? Mais alors, si tel est le cas et les preuves dans ce sens tendent à s’accumuler, qui est responsable de l’attentat et quels en étaient les mobiles ?
La claque de la justice écossaise
Après 3 ans d’une enquête complexe menée de 2004 à 2007, la Scottish Criminal Cases Review Commission (SCCRC) dont les conclusions devaient déterminer si Al-Megrahi pourrait interjeter appel de sa condamnation du 31/01/2001, ( !) a rendu son verdict. Dans un rapport de 800 pages accompagné de 13 volumes d’annexes, son président Graham Forbes concluait : « Au terme d’une longue enquête ayant révélé de nouveaux indices et des preuves qui n’avaient pas été présentées au tribunal lors du procès, nous sommes parvenus à la conclusion que le demandeur à pu être victime d’un déni de justice. C’est à la Cour d’Appel d’en juger et nous lui transmettons le dossier… ».
Un coup de théâtre et une claque d’une rare violence pour le procureur de l’affaire, Peter Fraser dont les certitudes étaient certes déjà ébranlées depuis un moment comme en attestent ses confidences à Tam Dalyell, député travailliste écossais de la circonscription de Linlithgow : « S’il y a eu conspiration, je suis dedans jusqu’au cou. L’unique autre possibilité eut été que je fasse preuve d’une telle naïveté que des preuves ont été déposées et que j’ai tout avalé, l’hameçon, la ligne et le plomb… ». Demi-aveu, recoupant les propres soupçons du parlementaire, rendus publics dès le 15/06/1995 : « j’en suis arrivé à me demander si le minuteur en question n’était pas un minuteur différent de celui du vol Pan Am 103, mais un système que la CIA aurait récupéré auprès des Libyens…J’ai tendance à penser que le dispositif a été placé là par la CIA… »
Flopée d'arguments
pour dédouaner Kadhafi
De nombreux arguments militent en faveur de la thèse d’une machination destinée à faire porter le chapeau, déjà bien rempli, au Colonel Kadhafi.
Les moins contestables sont les suivants :
La SCCRC évoquée plus haut a entendu à 3 reprises, un officier supérieur de la Police écossaise désigné sous le nom de code « Golfer » (et identifié dans un article de Bella Caledonia du 07/09/2011, comme le Chief Constable Tom Halpin, numéro deux de la police locale au moment des faits. L’article a été retiré du Web à la suite d’une injonction des avocats du policier) qui a révélé à la Commission de Révision, le dépôt par la CIA elle-même sur les lieux de l’accident, de prétendues preuves.
Des millions de dollars
pour les témoins clés
La même SCCRC s’est engagée à ne jamais rendre publics, 2 des 6 éléments l’ayant conduit à conclure au possible déni de justice (‘justice miscarriage’) au préjudice d’Al-Megrahi. Elle a toutefois découvert que les 2 principaux témoins de l’accusation, un transfuge libyen du nom de Majid GIAKA recruté par la CIA, et Tony GAUCI, le prétendu vendeur maltais des vêtements retrouvés dans la valise piégée, ont reçu chacun 2 millions de dollars en échange de leur témoignage, le frère de ce dernier bénéficiant également d’une « prime » d’un million de dollars, au titre du « Federal Witness Protection program ». En outre, la Commission de révision a constaté que de multiples incohérences dans les témoignages de GIAKA et GAUCI ont été dissimulées aux juges.
L’existence d’un témoin « secret » (un certain David Wright) en mesure de prouver qu’Al-Megrahi n’est pas la personne ayant acheté chez GAUCI à Malte, les vêtements dans lesquels ont été retrouvés les débris de minuteur MST-13, a été dissimulée aux juges.
Le 18/07/2007, dans une attestation établie chez Maître Walter Wienland, notaire à Zurich, Ulrich Lampert, ingénieur chez MEBO de 1978 à 1994, a affirmé avoir menti lors de son audition pendant le procès, en cachant qu’il avait volé un prototype du détonateur MST-13 chez MEBO et l’avait remis le 22/06/1989 à l’insu de ses patrons, à un « officiel » enquêtant sur l’attentat. Ses « aveux » mettent en pièces la thèse de l’accusation : « Je confirme aujourd’hui 18/07/2007 que j’ai volé à MEBO le circuit du 3ème minuteur MST-13 constitué de 8 couches de fibre de verre, et je l’ai donné sans autorisation le 22/06/1989 à une personne enquêtant officiellement sur le dossier Lockerbie… »
Le chef de l’équipe d’enquêteur de la CIA, Vincent Cannistraro, avait été recruté par l’Agence en 1986 avec la mission spécifique de contribuer à « déstabiliser la Libye et à détruire le régime du Colonel Kadahfi ». A son sujet, Oswald Le Winter, un collègue membre de l’agence de 1968 à 1985, s’est risqué publiquement à un bon mot assez révélateur : « que Cannistraro soit en charge de l’enquête aurait été drôle si ce n’était pas une obscénité… » .
Mebo ne fait plus le beau
Dans une lettre ouverte au parlement écossais du 7/01/2011 Edwin BOLLIER, le sulfureux dirigeant de la société suisse MEBO, affirme qu’il est en mesure de démontrer de manière rapide et irréfutable, que les débris du minuteur retrouvés dans la campagne écossaise, ne peuvent pas provenir de l’un de ceux vendus à la Libye par sa société.
Le Dr Hans Köchler, observateur de l’ONU lors du procès a ainsi résumé ses impressions dans son rapport (partie 11) : « in 2001-2002, the impression prevailed that strictly judicial considerations were put aside in favor of political considerations… »
Shukri GHANEM, premier ministre Libyen de 2002 à 2006 a affirmé à deux reprises, à la radio et à la télévision, qu’en dépit de la lettre de reconnaissance de la responsabilité libyenne « pour les actes de ses ressortissants » envoyée à Kofi Annan, et des 2,7 milliards de dollars versés aux familles des victimes, la Libye n’était responsable de rien ; à la question de la raison de l’indemnisation injustifiée, il a répondu : «Après que les sanctions nous aient été infligées et les problèmes qu’elles nous ont posés, les pertes financières considérables que nous avons subi, nous avons pensé que la meilleure solution était d’acheter la paix, raison pour laquelle nous avons payé les indemnités. On s’est dit ‘achetons la paix et mettons toute cette histoire derrière nous en repartant de l’avant… »
Raté….
(suite de notre enquête demain, sur les très bonnes raisons d'accuser la Libye et le témoignage d'un ancien honorable correspondant de la CIA)
source http://www.bakchich.info/international/2012/01/05/kadhafi-ne-rime-pas-avec-lockerbie-12-59907