Dans moins de six mois, l’Algérie célèbrera le cinquantième anniversaire de son indépendance. Un événement qui devrait donner lieu à de multiples manifestations et autant d’émissions de télévision, radio, publication d’ouvrages et autres films célébrant un demi‑siècle de République algérienne. Sauf que… Dans cet événement, deux pays, l’ancien colonisateur et l’ancien colonisé, sont autant impliqués l’un que l’autre. Mais si, d’un côté, la France vient de désigner un commissaire spécial, Hubert Collin de Verdière, ancien ambassadeur de France à Alger, et que des programmations "spécial Algérie" commencent à être diffusées sur les radios et les télévisions, de l’autre côté, il est bien difficile de savoir précisément quel sera ce programme.
Le réalisateur et producteur Bachir Derrais, à l’origine d’un scénario qu’il dit censuré par le ministère des moudjahidine, avoue se poser quelques questions : « Pourquoi l’Algérie s’y prend en retard, n’a pas nommé de "Monsieur cinquantenaire", alors que la France prépare l’événement depuis un an ? Contrairement à l’année de l’Algérie en France ou encore à Tlemcen capitale de la culture islamique, il n’existe aucun commissariat pour préparer le cinquantenaire. On nous casse la tête avec l’histoire officielle depuis cinquante ans… et là, rien ! Le système algérien a fait de cette révolution un fonds de commerce et quand il faut faire quelque chose de sérieux, il ne se passe rien. Pour préparer des films, des livres, des émissions il faut du temps… De fait, aujourd’hui en Algérie, personne ne tourne, on ne sait pas ce qui va sortir, ce qui va être produit… »
Loi sur le cinéma et écriture de l’histoire
Il y a un an et demi, Bachir Derrais achève, avec l’historien Mohammed Harbi et l’écrivain Mourad Bourboune, un scénario sur Larbi Ben M’hidi qu’il dépose en novembre 2010 au ministère des moudjahidine. Depuis le 26 décembre 2010, l’article 5 de la nouvelle loi sur le cinéma – proposée en novembre de la même année par la ministre de la Culture Khalida Toumi – stipule en effet que tout film sur la révolution algérienne doit lui être soumis. En marge de la séance d’adoption de cette loi par l’APN, la ministre la justifiait alors ainsi devant les journalistes : « Quand l’État finance ou contribue au financement d’une production, elle se garde le droit de regard sur ce qui a été fait. (…) C’est celui qui paie qui commande le menu. On ne peut pas demander à l’État de donner de l’argent et de ne pas avoir droit de regard sur ce que vous allez faire avec cet argent. Celui qui ne veut pas que l’État se mêle, qu’il paie de sa poche ». Pour elle, ce texte visait à « préserver l’Histoire de l’Algérie, ses symboles et ses valeurs et non pas à resserrer l’étau sur les cinéastes qui n’ont d’ailleurs pas besoin de leçons de patriotisme ».
Pour Bachir Derrais, bien au contraire, cette loi n’a aucune légitimité : « Elle a été votée par des députés illégitimes et corrompus, rédigée dans la précipitation totale, et pénalise tout le monde ». Le scénario de Derrais a pourtant été accepté par le ministère de la Culture, après passage par les commissions de lecture, ainsi que par l’ENTV. « Même dans la censure, les différents responsables de l’État n’arrivent pas à s’accorder ! À présent, le ministère de la culture est invisible et renvoie au ministère des moudjahidine pour toute explication », affirme le cinéaste, pour qui le ministère de la culture est « piégé par sa propre loi ».
La semaine dernière, Bachir Derrais apprenait que son dossier avait totalement disparu des couloirs du ministère des Moudjahidine. « On a vu le chef de cabinet du ministre quatre fois, on nous a dit que le scénario était passé en commission de lecture et au Centre de recherche pour la révolution de 1954 d’El Biar. À chaque fois, on nous a dit que le dossier était en instance, et aujourd’hui on nous affirme qu’il a disparu ! », s’insurge le réalisateur. Pour lui, l’explication est simple : « Ce film gênerait beaucoup de faux jetons, des gens qui nous gouvernent et qui ne sont pas les vrais révolutionnaires comme Larbi Ben M’hidi. D’anciens moudjahidine qui étaient dans la bataille d’Alger ont peur de rétablir la vérité », explique‑t‑il sans détour.
La disparition mystérieuse de son scénario s’apparente, pour lui, à un « second assassinat de Ben M’hidi » : « À l’heure où le monde entier parle de liberté, c’est grave de dépendre d’une poignée de personnes qui se prétendent garants de la guerre d’Algérie, c’est une honte ! »
Contactée, Zahia Yahi, chef de cabinet de Khalida Toumi, n’était pas joignable. Également contacté ce dimanche à plusieurs reprises par TSA, le chef de cabinet du ministre des Moudjahidine n’était lui non plus pas disponible pour répondre à nos questions.
http://www.tsa-algerie.com/politique/cinquantenaire-de-l-independance-le-pouvoir-garde-la-main-sur-l-ecriture-officielle-de-l-histoire_19016.html
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