Les temps nous changent. Hier déjà nous étions si loin. Le corps social blessé, se retourne comme il peut. Recroquevillés et vulnérables, nous nous retournons du passé, lui tournant le dos, mais sans bouger. D'ailleurs, nous n'avons plus le choix. Ou plus exactement nous en avons deux, soit le choix des bancocrates grecs et autres, c'est à dire mourir, soit sinon, inventer au jour le jour, d'abord pour se maintenir en vie, puis dans un temps plus historique, pour féconder le long terme.
Nous nous découvrons ainsi petit à petit sortants de l'ombre, et nous sommes finalement assez nombreux à ne plus se sentir à l'aise dans l'ancien sens. Et ceci depuis déjà un moment, quand on réfléchit bien. Et pas seulement dans les milieux … périmondains des lettres et des médias, fort heureusement. Toute notre commune mesure se déplace et avec elle, la frontière du possible. Comme au Far West. Pour le meilleur ou sinon, pour le pire.
Herbes sauvages du flanc nord-est du mont Hymète |
Embarquée sur notre sorte de RER jeudi soir, une dame emmenait chez elle, les herbes sauvages qu'elle avait ramassé sur le flanc nord-est du mont Hymète. «De quoi compléter nos repas jusqu'à lundi prochain. C'est pour ma famille vous savez, puis mon frère viendra, sa femme aussi, je les fais à la casserole d'abord, avant, j'achetais au marché local, mais de nos jours c'est un hors-d'œuvre offert, à ne pas manquer».
Les mêmes herbes sauvages ... datées ! |
En effet, le hors-d'œuvre nouveau, c'est aussi le retour à la famille ou sinon vers les amis. Se retrouver, se sentir protégé, manger. Une récente enquête, publiée par le magazine Epikaira (www.epikaira.gr – 19/01/2012, version imprimée, p. 18), confirme ce revirement. Ainsi l'ostentatoire et la démesure n'ont plus la cote. Il était grand temps. Vaut mieux mourir sobre et pensif, que vivre vorace et potentiellement idiot, selon la dernière trouvaille du simplisme ambiant. Les publicitaires le comprennent bien, car lorsqu'il faut faire vendre on ne badine pas avec les représentations collectives. Ainsi, dans une publicité, reprise sur toutes les bouches, le héros, vendeur de sandwichs, interroge son client sur les ingrédients à ajouter, à part la saucisse «tout en marquant des buts contre la faim». C'est un vendeur ambulant, servant sa clientèle depuis un stand posé devant un stade, son … enseigne commerciale portant le nom de «thérapeute de la faim», représentant aussi l'engouement pour ces formes de restauration bon marché, et pas seulement, devant les stades. Avant la déferlante des Troïkans, les publicitaires utilisaient des plans tournés dans les restaurants, mais ce n'est plus une pratique socialement généralisable désormais. Puis, par un dialogue assez croustillant, on laisse entendre que d'abord, le sympathique client n'a plus de relation amoureuse, mais c'est sans doute parce qu'il n'a pas de chance, et ainsi, il reçoit les encouragements du vendeur car il mérite vraiment autre chose, «t'en fais pas mon vieux, toi, t'es beau mec»
Et peu importe, si on suggère à la fin, d'opter pour l'opérateur de téléphonie qui a produit ce spot, car le produit lui même, n'apparait pas une seule fois dans le film. Voilà donc pour ce renversement des valeurs. Le collectif est à la page, même si les actes ne suivent pas encore fidèlement les paroles.
Dans les médias, on s'interroge sur le succès de ce spot publicitaire. L'éditorialiste, journaliste presse écrite et audiovisuelle, Stavros Theodorakis, se dit informé de l'improvisation partielle lors du tournage, la phrase justement «t'en fais pas mon vieux, toi, t'es beau mec» prononcée par le protagoniste («le vendeur»), incarné par Manolis Mavromatakis, un excellent acteur qui se produit au Théâtre National, mais qui par le biais de la publicité, rechercherait en effet les gains nécessaires, contribuant au financement partiel de son prochain film de fiction. «Il suffirait - écrit l'éditorialiste - qu'un homme, venu de nulle part, prononcera ainsi la phrase-clef qui nous emportera aussi en politique, raflant toute la mise, en dépit des scenarii des formation politiques supposées existantes», (Stavros Theodorakis, www.protagon.gr/?i=protagon.el.8emata&id=11841).
Improvisation partielle ou pas, je préfère m'attarder sut cette autre phrase clef, prononcée en dernier, par le vendeur, qui est: «je vis dans un rêve, ne me réveillez pas». Auto-dérision et ironie sont de mise, tandis que le code vestimentaire renvoie à la classe «dominante» … dans les faits, la classe populaire. On y suggère alors, sobriété, pauvreté relative (pas la misère), malchance et de l'ambiguïté, dans la notion du rêve et dans celle qui sous-entend l'action/inaction («ne me réveillez pas»). Mais avant tout, ces personnages incarnent l'humour et donc, la richesse. Non pas matérielle, mais relationnelle, valeur sûre finalement, tout comme l'échange, et l'encouragement. Ce qui reste en somme de positif, dans un pays ravagé par la bancocratie et par ses propres errements.
Un certain individualisme devient alors condamnable encore que ... En tout cas, nous sommes déjà ailleurs que dans le passé encore récent. Agir collectivement, s'entraider et ne plus avoir le droit de rêver de l'avenir, voilà que nous nous découvrons enfin membres du club. Non pas de celui des «puissants» de la zone euro, comme nos hommes politiques remâchaient depuis dix ans, mais de l'autre, si grand et ouvert, des 80% de l'humanité, vivant dans la cité du rêve interdit. Les chiffres utilisés par la presse cette semaine, font état de 1700 suicides attribués à la crise depuis 2010, ainsi qu'à un décès pratiquement par jour, chez les sans domicile fixe ces derniers jours froids, au cœur de l'hiver. Et ces politiques toujours là.
Justement, ce personnel politique n'en finit pas d'exister. Et à chaque fois qu'il occupe la scène médiatique c'est pour en ajouter de l'exécrable sur l'abime. Ainsi, cette semaine était aussi celle d'un premier déballage à travers les chamailleries entre grands patrons de la presse (Psycharis – quotidien Ta Nea) sur les dessous des montages financiers autour de la dette grecque et autres affaires, présumées profitables à la famille Papandréou. Cette même semaine, la police vient d'arrêter à Salonique 53 personnes, mêlées dans une affaire d'entreprise mafieuse et de blanchiment d'argent, les prêts non officiels et usuriers à destination d'entrepreneurs, figurent parmi les ... spécialisations, certains de ces entrepreneurs se sont suicidés ou “suicidés”, depuis quelques mois déjà. Les arrestations concernent un échantillon représentatif de la déchèterie nationale au service de la bancocratie, responsables régionaux dans la branche bancaire de la baronnie, policiers gradés, hauts responsables aux services anti-fraude du fisc, dirigeants d'équipes de foot et hommes politiques locaux, appartenant au parti de la droite, à celui de l'extrême droite et bien entendu au P.S. (on évoque même un proche de Venizélos – Ministre de l'Économie, figurant parmi les inculpés), et enfin, un journaliste-rédacteur à la chaine régionale (et d'État) ET3.
Sans immatriculation - Athènes janvier 2012 |
Parmi les «victimes» de cette mafia, on découvre l'ancien footballeur à la sélection nationale du Club Atlético de Madrid, Demis Nikolaidis. On apprend par les sources policières relayées dans la presse, que le joueur, a emprunté auprès d'un «entrepreneur» du clan en 2010, 350.000 euros, lui remboursant par mois, 51.800 euros, le taux initial mensuel étant de 10%, mais par la suite, il a été ramené à 6,5%, car le «client» était bon payeur. Finalement, Nikolaidis, a remboursé en quelques mois 620.000 euros, sur les 350.000 empruntés initialement (www.epikaira.gr/epikairo.php?id=37345&category_id=86 ).
Nous n'irons pas pleurer sur le sort du footballeur, mais la question déjà que la presse ne pose jamais, est par quel mécanisme de la valeur si bien ajoutée, ses revenus sont si élevés (et comment), pourquoi donc valoriser ainsi une telle «activité», pourtant, il y a en a toujours, qui suivent les «matchs» de foot dans ce pays comme avant.
Finalement, les taux usuriers des nos mafieux, n'ont rien d'anormal. Le système banquier tout entier, si sérieux qu'il puisse nous paraître selon les stéréotypes savamment cultivés, «les marchés» autrement-dit, pratiquent exactement les mêmes méthodes, seulement l'échelle est toute autre. Usure alors systémique. Les négociations entre le Premier Ministre - «guichet automatique» et le siège de son établissement semblent avancer. Les dernières touches sont apportées au tableau d'amortissement des «titres», donc on peut laisser courir une sorte de défaut, supposé maîtrisable, comme en réalité, il a été programmé jusque là. Comme en 1931, lorsque Moody's, conduisait déjà la Grèce au chaos (Régis Soubrouillard – Marianne – www.marianne2.fr/En-1931-Moody-s-conduisait-deja-la-Grece-au-chaos_a214650.html?TOKEN_RETURN ). Durant quatre ans, plusieurs écoles et universités n'ont pas fonctionné, les agents ont été mis à la porte et les soupes populaires se généralisant, n'ont pas suffi. Les services et les infrastructures du pays (réseau de distribution de l'eau, électricité) ont été «acquises» par des «investisseurs» étrangers. Le syndicalisme fut interdit, ainsi que les grèves. Les agents de l'État restants, furent ponctionnés de la moitie de leur solde. En 1932, le peuple grec, savait bien que les gouvernants du pays n'étaient, ni plus ni moins, qu'un corps de politiciens professionnels, dont les intérêts personnels et ceux de leurs patrons en réalité, entrepreneurs locaux ou pas. Ces derniers étaient les contributeurs directs des politiciens, souvent par le biais de la bourse, comme on pouvait lire déjà dans la presse de l'époque. Le chômage officiel, de 75.000 personnes en 1928, passe à 237.000 en 1932 (pour 6,5 millions d'habitants). Les prix ont doublé, et les morts causés par la famine se comptaient par milliers. Les jacqueries et autres révoltes spontanées, furent violemment réprimées par la police, la gendarmerie et l'armée. La stratocratie de fait, s'impose comme étant le régime le mieux adapté à la situation, selon les bancocrates de l'époque. La presse communiste durant ces années, qualifie Elefterios Venizélos (Premiers Ministre), de «dictateur». Le bipartisme ayant échoué, la mise à sac du pays, liée à la faillite de 1932 a entrainé la mécanique finale, aboutissant à la dictature de Metaxas, en 1936. Je rappelle qu'a l'époque, président au conseil des créanciers (aujourd'hui on dit également les «marchés»), était Sir Austen Chamberlain, «Accords de Locarno» - 1925, demi-frère de Arthur Neville Chamberlain, «Accords de Munich» – 1938). À terme, ces accords ont contribué à la logique du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale.
Clémentines Mycéniennes 20/01/2012 |
Car encore chez nous, mais de nos jours, le «dénouement» global 2012, se précise déjà bien, trop bien même. Le «gouvernement» vient de proposer par une loi cadre, le transfert de la propriété de tous les biens de l'État, bandes côtières, ressources et monuments compris, vers une supra-structure gérante, liée aux «restructurants» de la dette.
En somme, nos … «jardiniers de Salonique», cultivant le «tout en un» en politique, et «la Troïka pour tous les autres», voilà ce qu'en Grèce, on commence par le designer sous son … onomatopée originelle «bling bling», à savoir, l'occupation de l'intérieur et celle de l'extérieur, main dans la main, ce type de jardin n'étant pas qu'une spécialité de Salonique, ni même de la Grèce. On se demande pourtant, pourquoi ces affaires sortent en ce moment justement, car en Grèce cette supra-corruption ne tombe pas que du ciel. On se dit alors, que le système prend de l'eau et que la nuit des longs couteaux, commence entre certains, en vue de se repositionner dans le paysage «politique» sous le régime des Troïkans car apparemment, il n'y aura pas pour longtemps, ni pour tout le monde me semble-t-il. Les petites salades cachent bien les vraies patates chaudes.
Entre temps, au centre ville d'Athènes, une certaine vie culturelle se poursuit comme elle peut. Un éditeur présente son calendrier 2012, un artiste peintre connu ayant contribué, on y joue La Berceuse de Gabriel Fauré au piano et on s'y attarde ainsi un moment sur la vraie vie, pour aussitôt revenir au pays réel de la bancocratie et reprendre nos débats sur la crise. La Berceuse achevée, un ancien président d'université, assurant le réveil général, explicite autour de lui, sa version de la sortie de crise, «dans la durée et dans la douleur, depuis cette double occupation que nous subissons», puis les gens s'apprêtent à partir.
La Berceuse de Gabriel Fauré - 20/01/2012 |
Mais notre année 2012 de la culture, ne sera pas pour autant sauvée par quelconque calendrier. Je viens d'apprendre, que le Centre européen de traduction – Littérature et Sciences Humaines (EKEMEL - http://www.ekemel.gr/Content.aspx?C=150 ) est sur le point d'être fermé par le Ministre de la Culture, cet organisme cogérait notamment les Résidences des écrivains en Crète et sur Paros. Liquidation. Parait-il que son mobilier, ainsi que les ouvrages de sa bibliothèque seront mis en vente.
Braderie alors. Ce n'est malheureusement pas une surprise par les temps qui courent. Disons pour se consoler que les clémentines Mycéniennes sont à 0,80 euros le kilo et que pour certaines BMW, les plaques ont été déjà déposées. Leurs propriétaires n'arrivent plus à payer taxes et essence. Tête-à-queue. Tandis que les rumeurs sur la blogosphère, font état d'un Métropolite (non désigné), supposé sous mandat d'arrestation par la police, car «il transportait des armes et 35 millions d'euros dans sa voiture», «infos» sans queue ni tète, jusqu'à preuve du contraire, un autre Métropolite, Serafim depuis son Pirée, (en vrai cette fois-ci), vient d'adresser une lettre ouverte, d'abord destinée à la Secrétaire générale du P.C. grec Aleka Papariga, suivie par deux autres lettres, destinées aux chefs de deux autres partis de gauche, Alexis Tsipras (formation SYRIZA), et Fotis Kouvelis (DIMAR). «Sauvez le pays, empêchez cette ultime phase de trahison des autres partis, l'incinération finale de la Constitution et la perte définitive de notre souveraineté … mais revenez si possible aussi vers Dieu» (www.tovima.gr/society/article/?aid=439392 ). Du jamais vu depuis la création du P.C., au Pirée justement, en 1918.
En attendant la réponse de la camarade, et entre temps, ce samedi nous irons ramasser les citrons, car les citronniers des jardins communs en bas des immeubles sont bien pleins. Partagés entre locataires, nous en ferons ainsi notre jus d'agrumes pour toute la semaine prochaine. Pendant que «Le Parlement européen veut réduire le gaspillage alimentaire» (www.lemonde.fr/planete/article/2012/01/20/le-parlement-europeen-veut-reduire-le-gaspillage-alimentaire_1632649_3244.html ), nous, grands précurseurs, nous sommes déjà à nos … citrons mécaniques. Costa Europa.
Citronniers - Athènes - janvier 2010 |
Alter Info
l'Information Alternative