Qualifiant le régime algérien de «dictatorial» et de «va-t-en-guerre», l'ancien Premier ministre Sid Ahmed Ghozali n'écarte pas le spectre d'une guerre entre l'Algérie et le Maroc, même si «dans le contexte actuel c'est peu probable».
«Dans l'absolu, un régime dictatorial comme en Algérie est toujours prêt à faire la guerre à ses voisins pour éviter de se concentrer sur la recherche de solutions aux problèmes internes», a-t-il déclaré dans une interview accordée récemment à l'hebdomadaire marocain Maroc Hebdo. «Mais par les temps qui courent, la guerre n'est plus l'affaire uniquement des deux belligérants»,
a-t-il estimé, affirmant qu'il faut qu'elle soit «avalisée au préalable par les grandes puissances». Affirmatif à ce propos, il enchaînera : «Dans le contexte actuel, même si c'est peu probable, on ne peut pas exclure une guerre entre les deux pays.» «Et tant que les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux veulent faire perdurer le foyer de tension au Sahara, il faut s'attendre à tout», prédira-t-il.
Sur la question du Sahara occidental, justement, Sid Ahmed Ghozali affirmera qu'«aucun gouvernement raisonnable ne saurait se satisfaire de la persistance de ce conflit dans son voisinage». Surtout que «pour nos deux pays, le voisinage détermine notre destin commun», ajoute-t-il. Il révélera à ce sujet que «la malchance a également joué et fait perdurer le problème».
En 1978, explique Ghozali, l'Algérie et le Maroc allaient mettre fin au conflit. En effet, la même année, le roi Hassan II et le président Houari Boumediene devaient se réunir, selon lui, grâce au roi Baudoin de Belgique. Mais la disparition «regrettable» de Boumediene en a décidé autrement. «Ainsi, en 1978, nous sommes passés tout près d'une normalisation des rapports algéro-marocains»,
a-t-il regretté. Dans le même registre des «rapports tendus» entre les deux pays, l'ancien chef du gouvernement a estimé à propos de la fermeture des frontières, «cas unique en son genre», que les deux pays ont commis des violations, l'un en instaurant le visa, l'autre en fermant la frontière. «L'ouverture des frontières profite à tout le monde. Leur fermeture profite aux mafias et aux trafiquants», a-t-il expliqué, non sans préciser que l'ouverture «souhaitable» ne va pas «résoudre nos problèmes».
Entre les deux pays, estime Ghozali, «il faut une confiance mutuelle avant toute autre chose» qui commencera par des «excuses» des deux parties. «Tout cela ne peut se faire si nos deux Etats ne respectent pas la notion de la primauté du droit sur les sentiments et sautes d'humeur», a-t-il expliqué, rappelant qu'il y a «des lobbies au Maroc et en Algérie qui ne veulent pas du règlement des problèmes entre les deux pays».
«Le pouvoir fait montre d'une rigidité obstinée depuis deux décennies»
L'ancien chef de gouvernement sous feu Mohamed Boudiaf qui s'exprimait sur les changements dans la région qualifiera le pouvoir algérien de rigide. «Le pouvoir politique a clairement fait montre depuis deux décennies d'une rigidité obstinée et continue à verrouiller à mort la vie politique et sociale du pays», a-t-il martelé, l'accusant d'une «forte crispation sur les questions de pouvoir, que l'on s'agrippe mordicus à ses seuls repères, au détriment de l'attention qu'on est censé réserver aux préoccupations des gens».
Pour Sid Ahmed Ghozali, changer les lois ne sert à rien. «Un nombre considérable de lois et de décrets ont été votés ou signés à la suite de la nouvelle Constitution. Seulement, ce dispositif législatif et le discours politique, prétendument réformateurs, ne furent guère projetés sur le terrain», a-t-il regretté, affirmant que «plus de vingt ans après, la population se rend à l'évidence que rien n'a encore changé».
Face aux menaces croissantes de déstabilisation, le régime propose de nouveaux changements des lois, (…) alors que lesdits problèmes sont précisément la conséquence directe de l'inobservance de ces mêmes lois par le pouvoir qui les a faites», a-t-il noté. La gravité de la crise algérienne a conduit, selon lui, à une sérieuse dégradation de la relation entre gouvernants et gouvernés.
«C'est une crise de gestion des affaires de la cité et de l'Etat et non un problème de renouvellement de textes, au demeurant non respectés. Le socle de la pratique politique prédominante en Algérie, c'est l'absence de confiance entre le gouvernant et le peuple, voire un mépris affiché envers le gouverné», a-t-il encore expliqué.
L'incivisme «multiforme» qui gangrène la société est à ses yeux «le produit du comportement foncièrement incivique du pouvoir politique». Il se gardera toutefois lorsqu'il est interrogé sur le risque que les manifestations dégénèrent, de «confondre émeutes et soulèvement». Il préférera dans ce même contexte parler de «spécificité algérienne» au lieu d'«exception algérienne».
Saïd Mekla
Alter Info
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