Please, respect pour les victimes, et arrêtez le délire. De tous cotés, c’est la même litanie : dans une affaire de moeurs, c’est « parole contre parole », alors… Non, c'est grotesque. Renseignez-vous avant de parler… car vos paroles, ce n’est pas seulement du vent. C’est un boulevard pour les agresseurs sexuels.
Le viol est un crime depuis 1810
La reconnaissance du viol comme crime, c’est-à-dire la destruction de la personne d’autrui, résulte de la première rédaction du Code pénal en 1810 (Art 331) : « Quiconque aura commis le crime de viol, ou sera rendu coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l’un ou l’autre sexe sera puni de la réclusion ».
La définition, très large, l'était trop et le texte restait inappliqué parce qu’il ne disait pas précisément ce qu’était viol, et que les machos tenaient les manettes.
Le grand progrès résulte de la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980, de la bonne vieille Droite, avec VGE et Simone Veil. Ce texte est devenu l’article 222-23 du Code pénal : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle ». Lisez les mots.
Ma grande tristesse, aujourd’hui… Non. Ma rage aujourd’hui est de voir s’imposer comme un consensus de bon sens cette phrase arriérée « parole contre parole ». Cela fait trente ans que des professionnels du droit, de la psy, de la sociologie, expliquent ce qu’est cette violence sexuelle que sanctionne l'article 222-23. Des années que les facs étudient la victimologie, pour comprendre les désastres que le crime sexuel commet.
Un peu de méthode, please. La parole de l’un contre la parole de l’autre, ça peut arriver, mais il est rarissime que ce ne soit que cela.
L’intégrité corporelle
Ce qui est en cause, c’est l’intégrité corporelle, alors on démarre avec les éléments médicaux. Un examen de la victime dans les heures qui suit dira plus que si l’examen est fait le lendemain. Après un tel fait, la première chose que souhaite la victime, c’est se laver, comme on lave l’affront. Or, il lui faut supporter, accepter encore quelques heures de rester avec la souillure, le temps que les médecins procèdent à leurs examens, si pénibles, si invasifs. Prélèvement à la recherche de sperme, recherche d’ADN sous les ongles, examen du corps, de l’intimité…
Le médecin fait un examen complet et décrit tout. Idem pour la personne mise en cause, ce qui peut justifier une arrestation très précoce. Prenons l’exemple d’une déclaration de la victime évoquant des gestes pour se débattre. Une trace sur le corps de l’autre sera accablante, alors que le constat d’un corps intact écartera l’idée de cette violence. L’aspect, le sens d’une griffure peut être le signe d’une lutte, ou au contraire d’un subterfuge. De même, trouve-t-on des traces d’une alcoolisation, de la prise de toxiques… Cela aussi doit être pris en compte, pour apprécier un comportement débridé ou des souvenirs flous
Les données psychologiques sont également recueillies et analysées, même si cela devient plus subjectif. Mais des équipes formées à l’accueil des victimes savent beaucoup des comportements, des réactions, des propos tenus…
Les constatations matérielles
Viennent ensuite les constatations matérielles, qui sont de deux types : l'examen des lieux et l’emploi du temps.
Selon les circonstances, la visite des lieux permet de savoir beaucoup ou peu. Ce sera d’abord un indice de plus pour apprécier la véracité de la parole. La description des lieux a-t-elle été fidèle ? Dans un lieu fermé ou préservé, les enquêteurs vont rechercher de nombreux éléments matériels. Si la visite est intervenue sans délai et qu’on ne trouve rien, il y aura l'espace pour un doute. En revanche, le recueil de sperme, de cheveux ou de tout autre élément matériel sur les lieux de l’agression décrite sera un élément important, à mettre à phase avec le reste. De même, l’acte d’agression a pu s’accompagner d’une détérioration des vêtements.
L’emploi du temps
L’emploi du temps est une donnée décisive, et la démarche des enquêteurs est identique pour la plaignante et de la personne, pouvant mettre en évidence un alibi, des incohérences graves dans les déclarations ou au contraire un scénario accablant. Parvient-on à établir que les deux étaient ensemble au moment décrit ? Comment sont-ils arrivés là ? Pourquoi ? Se connaissaient-ils ? Les téléphones portables ou les cartes bancaires peuvent être des mines de renseignements, car elles donnent des informations incontestables. Les premiers coups de fils donnés après l’agression décrite apportent de très bons renseignements.
Les témoins
L’agression, par hypothèse, se joue dans le secret. Mais les témoins peuvent donner beaucoup d'informations, et là encore, dans un sens et dans l’autre. La plaignante était avec une amie quelque que instants plus tôt, insouciante et avec des projets pour les heures qui allaient venir. Or, la plaignante rappelle son amie une heure plus tard, bouleversée, en pleurs, parle de viol... Cela accrédite la survenance d’une agression. Quels étaient les premiers témoins ? Combien de temps après ? Quel comportement ?
Les interrogatoires
S’ouvre alors la phase d’interrogatoire par la police. Souvent la victime connait l’agresseur, mais quand ce n’est le cas, sera organisé une séance de reconnaissance : la personne mise en cause alignée à côté de policiers, derrière une vitre teintée. Si l’agresseur potentiel n’est pas reconnu, l’enquête sera mal barrée…
Suit un épisode majeur, à savoir le récit détaillé des faits par la plaignante. Majeur, car la parole de la victime mérite la plus grande considération. Voici une femme qui vivait sa vie, et jour après jour construisait ses attachements, et qui soudain vient voir un flic pour lui dire qu'elle a été violée. Ses mots, déjà, sont plus que de simples mots.
Pour la personne mise en cause, ce sera le récit de ce qu’il faisait à l'heure H. Ici, ailleurs ? Pour les deux, ce sont des interrogatoires sans complaisance, toujours décrits comme durs. Un flot de questions, cherchant la précision, le détail, la logique de la scène. Beaucoup de questions sur les éléments médicaux ou matériels quand ils existent. Pas d’empathie dans le job des flics : leur rôle est d’identifier ce qui fait preuve. On revient plusieurs fois sur les mêmes points, pour voir si les réponses sont constantes ou mouvantes. Les policiers peuvent aussi organiser une confrontation. C’est une première étape, policière, puis un juge d’instruction sera saisi, et on reviendra de nombreuses fois sur les mêmes questions. Il sera important de voir, le temps passant, si les réponses restent les mêmes, ou évoluent.
Les expertises et l’enquête de personnalité
Le juge d’instruction recherche encore des éléments généraux de personnalité. La plaignante comme la personne mise en cause sont soumis à une expertise psy, qui peut se révéler très parlante... Mais le juge s’intéresse aussi à la personnalité, à travers un long interrogatoire qu’il effectue lui-même, dit de curriculum vitae. Le juge va faire entendre aussi de très nombreuses personnes, des proches, des amis, des collègues de travail… Il missionne aussi un enquêteur de personnalité, qui va beaucoup de renseigner et rédigera une synthèse.
L’audience
Ceci, c’est l’instruction, mais le grand moment sera l’audience, dans le décor solennel de la cour d’assises. Il faut reprendre toute l’instruction des faits, car les jurés ont été tirés au sort au début de l’audience, et ne savent rien de l’affaire. Une audience pour viol dure au moins un jour. Le président, qui lui connait le dossier parfaitement, toujours un grand pro, dirige les débats, mais toutes les autres parties peuvent poser des questions : la partie-civile, le procureur, l’accusé… Les experts psychiatres viennent déposer oralement devant la cour, et on entend de nombreux témoins. Or, il y a un monde entre la déposition faite chez les flics, dans le cadre de l’enquête, sur PV et le témoignage oral à la barre, devant les juges, la partie civile, l’accusé… tout dans une dramatisation croissante, au fur et à mesure que s’approche la fin de l’audience et le verdict.
L’expérience des juges
Voilà, et ce n’est là qu’un schéma général, toute affaire étant particulière. Alors, il peut arriver qu’au terme de tout ce travail, de ces pages de PV, on se retrouve « parole contre parole ». Ca peut arriver, mais c’est l’exception. Lorsqu’il s’agit de faits anciens, il est plus difficile de retrouver des éléments médicaux ou matériels, mais restent la cohérence du récit, l’emploi du temps, les circonstances, les vraisemblances et les invraisemblances, les témoins, les expertises, la souffrance psychique et ses désordres, les éléments de personnalité, les auditions et les confrontations. Sans oublier l’expérience des juges…
Quand il y a crime, il faut porter plainte
Aussi, les victimes qui hésitent souvent à porter plainte ne doivent pas croire cette litanie imbécile « parole contre parole », totalement décourageante, aléatoire, et destructrice. Quand elles hésitent, qu’elles aillent voir un avocat, défenseur et confident, qui saura écouter, analyser et conseiller. Toute affaire est particulière, et les victimes rencontreront, à tous les stades du procès, des professionnels très compétents.
Aux bavards impénitents, qui occupent l’espace médiatique, je dis simplement : arrêtez avec votre « parole contre parole » et renseignez vous avant de déverser votre pensée déstructurée.
Aux femmes qui ont osé, contre les vents dominants, porter plainte contre leurs agresseurs, je dis mon admiration et mes remerciements car, en défendant leurs droits, elles ont beaucoup fait pour que nous puissions vivre dans un monde meilleur.